lundi 25 février 2013

Interview avec Abdolreza Tadjik, journaliste : les reportages sur les désastres en Iran sont émotionnels


Le journaliste iranien Abdolreza Tadjik est basé en France. Il a gagné le prix de la liberté de la presse de Reporters Sans Frontières en 2010. Il a accepté une interview avec Khabarnegaran.info pour s’exprimer sur la couverture médiatique des désastres comme les grèves de la faim, les exécutions, les morts et l’énoncé des sentences.

Khabarnegaran : Pourquoi les nouvelles des pendaisons, des grèves de la faim, les morts en Iran sont-elles si fréquemment publiées et sur de si grandes échelles ? Les Iraniens s’y habituent ou bien est-ce l’une de leurs demandes ?

Tadjik : Les titres controversés et les analyses provocantes attirent le plus de lecteurs. C’est pourquoi les journalistes choisissent ces sujets pour nourrir la faim émotionnelle de la société. Et ceci ne se limite pas à l’Iran.

Khabarnegaran : Jusqu’où vont les journalistes pour provoquer les émotions populaires en couvrant de telles nouvelles catastrophiques ? Ne craignez-vous pas que les médias iraniens ne finissent pas considérer ces informations comme la norme ?

Tadjik : Il est très triste de s’habituer à lire des nouvelles catastrophiques quotidiennement, surtout pour la classe moyenne intellectuelle. Ce qui veut dire que l’on ne se pose plus de questions après de telles informations. Les journalistes font en sorte que ces informations ne deviennent pas une norme ou une habitude. Ils provoquent les émotions populaires pour les attirer. 

Khabarnegaran : Ne pensez-vous pas que la société devient de moins en moins sensible aux grèves de la faim et à la prison en lisant de plus en plus d’articles sur le sujet ? N’est-ce pas lié à l’approche émotionnelle des médias ?

Tadjik : On ne parle pas de pendaisons qui deviennent la norme avec des milliers de gens qui viennent la voir. Il suffit de regarder la page des faits divers des journaux ou des sites d’information pour comprendre combien leur approche est populiste. Les nouvelles de l’exécution et de la pendaison est plus facile à publier quand il s’agit d’un violeur ou d’un trafiquant de drogue. Il faut faire preuve de prudence quand une personne ou un groupe impose son idéologie au reste de la société. Il y a eu, par exemple plusieurs personnes pendues à Téhéran pour cambriolage. Les médias et le monde virtuel des utilisateurs iraniens ont nourri la colère du peuple sur l’atmosphère d’insécurité régnant dans la société. On peut aussi dire que le procès a été hâté à cause de l’intense couverture médiatique et le résultat en a été qu’ils ont été exécutés.
C’est la même chose pour les exécutions politiques et les grèves de la faim. Couvrir le cas d’un prisonnier politique, de sa situation en prison alors que sa situation est la même que celle des autres prisonniers n’est pas professionnel, c’est de la provocation des émotions publiques.

Khabarnegaran : Si l’on se réfère au cas du bloggeur Sattar Beheshti, les médias ont joué un rôle important pour informer le public. Ne voyez-vous pas de telles actions comme utiles ?

Tadjik : Malheureusement, les journalistes et les reporteurs ont agi émotionnellement. Ces mêmes journalistes qui louent la justice pour un dossier la condamneront pour un autre. Un journaliste doit chercher des  faits plutôt que de juger. Les journalistes n’ont pas fait un bon travail, ils n’ont pas trouvé suffisamment d’informations sur le dossier de Sattar Beheshti. Ils étaient englués dans l’émotion ce qui leur a fait oublier de trouver de nouvelles informations.

Khabarnegaran : En sommes-nous arrivés au point où seule la mort peut faire les gros titres ?
Tadjik : Le journal Salam a titré sur Saïd Imami alors qu’il était encore vivant. Lors des sixièmes élections législatives également, les médias étaient très informatifs. La mort n’est donc pas le seul sujet des gros titres.

Khabarnegaran : Suggérez-vous que les médias ne savent pas comment informer efficacement sous la pression et la censure ?

Tadjik : Les médias iraniens publiés à l’intérieur du pays vivent dans une atmosphère étouffante. Shargh publiait des informations sur les droits humains quotidiennement. Ils s’arrangeaient pour informer le public sans dépasser la ligne rouge. Aujourd’hui encore, heureusement, il existe quelques périodiques qui couvrent ces informations sans avoir recours aux émotions.

Khabarnegaran : Pourquoi les médias perdent-ils graduellement leur intérêt et leur sensibilité pour les problèmes de droits humains ?

Tadjik : Quelquefois, les journalistes considèrent les médias comme un marchepied pour atteindre leurs buts politiques, voilà comment une couverture médiatique correcte est entachée et comment des informations importantes perdent de leur priorité.

Khabarnegaran : Devrions-nous définir de nouveaux bureau d’information couvrant en particulier les droits humains et les exécutions ?

Tadjik : Suite à l’élection présidentielle de 1998, une nouvelle diplomatie culturelle a formé les journaux réformateurs. La publication d’informations sur les prisonniers politiques s’est faite petit à petit, avec beaucoup de précautions. La demande de la société a poussé les médias à laisser les précautions de côté. Ils couvraient les informations sur les droits humains dans la section politique. Suite à la demande croissante pour de telles informations, ils ont fini par créer des sections légales. Aujourd’hui, nous sentons encore cette fracture. Sous la pression actuelle, les noms des prisonniers et des personnalités arrêtées ainsi que les nouvelles des droits humains irritent grandement le gouvernement. On peut dépasser cette fracture en interviewant des députés sur ces sujets et en traitant ces sujets de façon générale.

Khabarnegaran : Devrions-nous créer des médias ou des sites web spécialisés pour traiter ces sujets ?

Tadjik : Il y a plusieurs sites web qui ne couvrent que les droits humains. La principale menace pour eux, ce sont les émotions. Un journaliste devrait rendre visite à la famille des prisonniers politiques pour obtenir des informations sur leurs dossiers. Cela rend difficile la ségrégation entre les émotions et l’information. Un journaliste a beaucoup plus de responsabilités qu’un citoyen ordinaire qui rapporte des informations.

Khabarnegaran : Quelle est votre évaluation des sites web Verts après l’élection de 2009 ?

Tadjik : En ce qui concerne les informations sur les prisonniers politiques et leurs familles, ces sites web font un très bon travail.

Khabarnegaran : Pensez-vous que ces sites web sont assez influents pour faire des informations sur les prisonniers politiques une norme, pour que ces informations soient publiées plus facilement ?

Tadjik : Je n’en donne pas exclusivement crédit aux sites web Verts. Même si cela se produisait, je crois qu’ils le devraient à leur jeu avec les émotions.

Khabarnegaran : Comment les médias  qu’ils soient basés en Iran ou à l’étranger, devraient-ils contribuer à la société?

Tadjik : Les medias devraient utiliser toutes les opportunités pour que les informations soient publiées. Les médias en Persan, basés à l’étranger doivent comprendre qu’il leur faut creuser davantage et ne pas se laisser submerger par les émotions. Ils doivent se servir du luxe d’une atmosphère libre de censure et ne pas le dilapider avec de la littérature erronée.

21 février 2013

Source : http://www.majzooban.org/en/news-and-exclusive-content/3815-interview-with-abdolreza-tajik-journalist-coverage-of-disaster-news-in-iran-is-emotional.html

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