mercredi 26 mars 2014

Shahrokh Zamani : Il faut interdire l’exécution d’êtres humains.

Laissez-moi pleurer comme un nuage de printemps
Même les pierres pleurent quand elles se séparent d’un ami
(Sa’adi de Shiraz)

Les représailles sont faites pour camoufler et favoriser l’injustice et les détournements de fonds perpétuels de la république islamique.

Rassoul Badaghi et moi-même avons été mis à l’isolement pour avoir protester auprès des autorités quand elles ont fermé la bibliothèque de la section. J’aurais préféré purger plusieurs mois à l’isolement dans d’autres prisons plutôt que de voir et d’entendre ce que j’ai vu et entendu, c’était un réel cauchemar qui m’a attristé et outré.

Le 18 février, j’étais dans ma cellule ; je pensais à ma situation et à la répression à laquelle je devais faire face quand les cris d’un gardien m’ont fait sursauter : « Rassemble des affaires, j’ai ordre de te changer de cellule. »

J’ai pris les deux couvertures que j’avais et j’ai suivi le gardien. Alors que je quittais le corridor, j’ai vu huit jeunes hommes qui y entraient. Leurs yeux brillaient ce qui indiquait leur jeune âge et qu’ils étaient remplis de terreur et d’effroi. Leurs yeux reflétaient la tempête qui leur traversait l’esprit et l’effort par lequel ils tentaient de lier le passé, le présent et le futur de chacun. Une pensée me traversa l’esprit comme une lueur, mon cœur battait la chamade et tout mon corps tremblait.

J’ai demandé au gardien :
« Pourquoi les amène-t-on ici ? »
« Pour exécuter la sentence »

J’ai senti un grand froid et je n’arrivais plus à respirer, ma bouche était amère et une tempête d’horreur et de tristesse assaillait mon cœur. Je ne comprenais pas et mes émotions changeaient d’instant en instant. J’ai tenté avec difficulté d’avaler ma salive et je lui ai demandé : « Vous voulez dire qu’ils vont être exécutés demain matin ? » Dans une horreur totale, j’ai entendu le mot OUI. J’étais atterré mais le gardien continuait : « Nous avons eu beaucoup de travail avec les condamnés à mort ces derniers temps. Il y aura encore des pendaisons demain. »

J’ai été témoin de scènes, de bruits et de mots qui prouvaient l’augmentation des crimes commis par le régime. D’après ce que m’a dit le gardien, on allait pendre plus de gens, en tuer davantage. (De combien de sang ce monstre a-t-il besoin pour survivre ?)

Le gardien a dit : « On ne pouvait pas les garder là, il n’y avait pas assez d’espace, mais il y a 40 autres prisonniers qui vont être exécutés ces deux prochains jours. »

Je ne me souviens plus de ce qu’il a dit après. J’étais perdu dans mes pensées et je n’entendais plus rien. Inconsciemment, je me suis frappé la tête à deux mains et j’ai commencé à pleurer du fond de mon cœur. Je voulais que chaque cellule de mon corps hurle, que chacun des atomes de mon corps se transforme en larme. Les mots et les pensées cheminaient en désordre dans mon esprit à grande vitesse. Honte à nous ! Où en sommes-nous pour que l’on mène quotidiennement notre jeunesse à l’abattoir ? Sur quel mur cogner ma tête lourde et confuse ?

Mes jambes ne me portaient plus. Je me suis jeté dans un coin de la cellule et je me suis assis sur le sol. Je ne sais pas combien de temps cela a duré, je sais seulement que le visage de ces huit jeunes hommes étaient constamment devant mes yeux et j’avais la certitude que l’un d’eux avait séjourné dans cette cellule où je me trouvais, s’était assis sur la même moquette probablement humide des larmes de centaines d’autres. Ou bien peut-être que je marchais tout en pensant. Je n’arrivais pas à imaginer ce à qui il pensait et comment il allait passer ces dernières heures de sa vie. Quelles images lui viendraient à l’esprit ? Son épouse ? Son père ? Sa mère ? Un frère ? Une sœur? Que leur disait-il ? Que leur demandait-il ?

De nouveau, je ne me souviens plus quand le bruit des portes qui s’ouvrent et celui des conversations a augmenté ; j’ai aussitôt entendu les suppliques de ces pauvres hères qui envahissaient tout mon être et m’écorchaient jusqu’aux os. Il était temps d’exécuter la peine. Après des années d’attente entre espoir et déception, après ces dernières heures terribles pour eux, je n’étais qu’un observateur, en dépit des murs, et je comprenais certains aspects de cette relation sanglante entre le gouvernement et ces jeunes hommes victimes d’une situation sociale brutale. Je ne pouvais qu’entendre les ailes de la chouette de la mort planant au-dessus des cellules ; je ne comprenais pas le besoin de ce bain de sang mais je voyais l’ombre de la mort sur tous les murs et tout mon environnement. Il me semblait que j’étais mort depuis des heures. J’ai senti la corde autour de mon cou et j’ai été pendu plusieurs fois cette nuit-là. L’étau autour de ma gorge était si serré que je ne pouvais plus bouger. J’étais collé à la porte dans l’espoir de quelque nouvelle m’apprenant qu’ils allaient échapper à l’exécution. Parmi les supplications et les cris, j’ai aussi entendu d’autres voix. C’était peut-être leurs familles ou celles des plaignants. Je ne peux pas décrire tant d’atrocité et de manque de pitié.
J’aurais voulu pouvoir ! J’aurais voulu emmener les familles des Laridjanis, des juges et des autorités pour remplacer les familles de ces malheureux et leur dire de regarder le massacre, le meurtre perpétré par leurs pères, enfants, frères et sœurs. Les meurtres de jeunes ont augmenté ces derniers 35 ans ; peu importe ce qu’ils ont fait, ils sont le produit de la république islamique. Je voudrais pouvoir leur dire que le monstre auquel ils doivent leur bonheur survit grâce à des meurtres de ce genre, il doit boire davantage de sang jour après jour. Je voudrais leur dire que les aménagements dont ils bénéficient, les objets avec lesquels ils vivent, et toutes les délicieuses nourritures qu’ils avalent sont tâchées de sang et qu’ils continuent d’en bénéficier grâce à ces massacres. Si vous ne vous élevez pas contre ces crimes commis par les membres de votre famille, alors vous êtes complices à un certain degré. 

Je voudrais pouvoir garder des films ou au moins des photos de ces meurtres pour l’histoire, pour les donner à la communauté internationale et aux organisations de défense des droits humains et leur dire que sous la blague nommée « Hassan Rouhani » et les « droits humains islamiques » de pure fiction, les crimes continuent et même augmentent rapidement. Je voudrais pouvoir leur dire comment ils pendent des jeunes, comment ils les abattent pour maintenir en vie des relations sociales réactionnaires en cachant leurs dents sanglantes sous un masque souriant.

Honte à nous tous ! Honte à ceux dont la vie dépend de ces bains de sang ! Honte à tous ceux qui assistant à ce bain de sang et qui ferment les yeux ! Honte à ces chasseurs d’hommes qui vont connaître une mort très dure !

Il faut interdire l’exécution d’êtres humains.

Shahrokh Zamani
Prison de Redjaï Shahr, Karadj, Iran
22 février 2014

Source : http://chzamani.blogspot.fr/2014/03/rajai-shahr-prison-even-death-whimpers.html?utm_content=buffer663b3&utm_medium=social&utm_source=twitter.com&utm_campaign=buffer

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