dimanche 26 octobre 2014

Dernière lettre déchirante de Reyhaneh Djabbari

Cette jeune architecte d’intérieur a été pendue hier pour avoir tué l’homme qu’elle accusait d’avoir tenté de la violer ; elle a écrit cette lettre émouvante à sa mère, lui demandant de faire le nécessaire pour donner ses organes après sa mort.

Cette lettre déchirante a été écrite en avril mais publiée aujourd’hui par les militants iraniens et adressée à sa mère Sholeh Pakravan qui avait demandé aux juges de la pendre à la place de sa fille pour le meurtre de Morteza Abdolali Sarbandi, ancien agent du renseignement.

Reyhaneh Djabbari lors de son procès à Téhéran

Chère Sholeh,

J’ai appris aujourd’hui que c’était maintenant mon tour de faire face au talion. J’ai été blessée de ne pas avoir appris de ta bouche que j’étais arrivée à la dernière page du livre de ma vie. Ne crois-tu pas que je devrais le savoir ? Tu sais combien j’ai honte d’être la cause de ta tristesse. Pourquoi ne pas m’avoir pas donné l’opportunité de t’embrasser la main et celle de mon père ?

Le monde m’a permis de vivre 19 ans. Cette nuit funeste, c’est moi qui aurais dû être tuée. On aurait jeté mon corps dans quelque coin de la ville ; au bout de quelques jours, la police t’aurait emmenée au bureau du juge d’instruction pour identifier mon corps et on t’aurait appris que j’avais également été violée. On n’aurait jamais retrouvé le meurtrier : nous n’avons pas sa richesse ni son pouvoir. Alors tu aurais continué à vivre, tu aurais souffert, tu aurais eu honte, et quelques années plus tard, tu serais morte de cette souffrance et voilà.

Mais avec ce coup maudit, l’histoire a changé. On ne s’est pas débarrassé de mon corps, on l’a jeté dans la tombe de la prison d’Evine et de ses sections d’isolement, et maintenant dans la prison semblable à une tombe de Shahr-é-Rey. Mais lâche prise et ne te plains pas. Tu sais bien que la mort n’est pas la fin de la vie.

Tu m’as enseigné qu’on venait au monde pour acquérir de l’expérience et apprendre une leçon et à chaque naissance une nouvelle responsabilité nous accable. J’ai appris qu’on doit parfois se battre. Je me souviens bien que tu m’as dit que le charretier avait protesté auprès de l’homme qui me fouettait ; il lui avait alors fouetté la tête et le visage ce qui a causé sa mort. Tu m’as dit que pour créer de la valeur il faut être persévérant, même si l’on en meurt.

Tu nous as appris qu’en allant à l’école, on doit se conduire en vraie dame face aux querelles et aux plaintes. Te souviens-tu combien tu as insisté sur notre conduite ? Ton expérience n’était pas correcte. Quand cela s’est produit, ce que tu m’avais enseigné ne m’a pas aidé. Lors de ma comparution, j’ai ressemblé à une meurtrière de sang-froid et à une criminelle impitoyable. Je n’ai pas versé de larmes, je n’ai pas imploré, je n’ai pas pleuré toutes les larmes de mon corps parce que je faisais confiance à la loi.

Et on m’a accusée d’être indifférente face au crime. Tu vois, je ne tue même pas les moustiques et je jette les cafards en les prenant par les antennes. Et on a fait de mois une meurtrière avec préméditation. La façon dont je traite les animaux a été interprétée comme une tendance à me conduire en garçon et le juge n’a même pas pris la peine de prendre en compte mes ongles longs et polis à l’époque de l’accident.

Celui qui espère la justice des juges est vraiment optimiste ! Il n’a jamais mis en question le fait que mes mains ne sont pas rudes comme celles d’une sportive, surtout celles d’une boxeuse. Et ce pays dont tu m’as planté l’amour dans le cœur, n’a jamais voulu de moi, personne ne m’a soutenue quand je pleurais sous les coups de celui qui m’interrogeait alors que j’entendais les pires vulgarités. Quand je me suis débarrassée de mon dernier signe de beauté et me rasant la tête, j’ai été récompensée de 11 jours d’isolement.

Chère Sholeh, ne pleure pas à cause de ce que tu entends. Le premier jour au poste de police une vieille fille m’a frappé à cause de mes ongles ; j’ai alors compris que la beauté n’avait pas sa place en ce lieu. La beauté des regards, la beauté des pensées et des désirs, une belle écriture, la beauté des yeux et de la vision, et même la beauté d’une jolie voix.

Ma chère mère, mon idéologie a changé et ce n’est pas ta faute. Mes mots n’ont pas de fin et je les ai tous donnés à quelqu’un pour que, si je suis exécutée sans que tu le saches et que tu ne sois présente, on te les donne. Je te laisse en héritage beaucoup de documents manuscrits.

Cependant, avant ma mort, je te demande quelque chose qu’il faudra que tu me donnes de toutes tes forces et de quelque façon que tu le pourras. En fait, c’est la seule chose que je veuille de ce monde, de ce pays et de toi. Et je sais que cela te prendra du temps.

Je te fais donc part d’une partie de mes volontés plus tôt. S’il te plaît, ne pleure pas et écoute moi. Je veux que tu ailles au tribunal et que tu leur fasses part de ma demande. Je ne peux pas leur écrire cela depuis la prison car il me faudrait l’accord du directeur de la prison ; alors, encore une fois, tu vas devoir souffrir à cause de moi. C’est la seule chose pour laquelle, même si tu me supplies, je ne serais pas contrariée, bien que je t’aie dit souvent de ne pas supplier pour me sauver de l’exécution.

Ma gentille mère, chère Sholeh, plus chère à mon cœur que ma propre vie même, je ne veux pas pourrir dans le sol. Je ne veux pas que mes yeux ou mon jeune cœur se transforment en poussière. Demande que, dès que je serai pendue, mon cœur, mes reins, mes yeux, mes os et tout ce qui peut être transplanté soit retiré de mon corps pour être donné à quiconque en aura besoin. Je ne veux pas que les receveurs connaissent mon nom, m’achètent une fleur ou même prient pour moi.

Je te dis du fond du cœur que je ne veux pas de tombe où tu viendrais pour y souffrir. Je ne veux pas que tu t’habilles en noir. Fais de ton mieux pour oublier mes jours difficiles. Laisse le vent m’emporter.

Le monde ne nous a pas aimées. Je ne voulais pas de mon sort. Et maintenant, je m’y résigne et j’enlace la mort. Parce qu’au tribunal de Dieu, j’accuserai les inspecteurs, j’accuserai l’inspecteur Shamlou, j’accuserai le juge, et les juges de la cour suprême du pays qui m’ont tabassée quand j’étais éveillée et ne se sont pas privés de me harceler.

Au tribunal du créateur, j’accuserai le Docteur Farvandi, j’accuserai Ghassem Shabani et tous ceux qui, par ignorance ou par leurs mensonges, m’ont fait du mal, ont piétiné mes droits, et n’ont pas prêté attention à ce que ce qui, parfois, peut apparaître comme une réalité et est en fait différent.

Chère Sholeh au cœur tendre, dans l’autre monde, ce sera toi et moi qui serons les accusatrices et les autres seront les accusés. Nous verrons ce que Dieu veut. Je voulais t’embrasser jusqu’à la mort. Je t’aime.

Source : http://www.huffingtonpost.co.uk/2014/10/26/reyhaneh-jabbari-letter_n_6049846.html?utm_hp_ref=uk

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