lundi 29 décembre 2014

Lettre à Bahareh Hedayat, étudiante iranienne emprisonnée et féministe


Ci-dessous, des extraits d’une lettre de la journaliste Marzieh Rassouli à Bahareh Hedayat, étudiante féministe. Marzieh et Bahareh se sont trouvées ensemble à la prison d’Evine.

Les dimanches, jours de visite, je demandais toujours à Raheleh si quelque ami ne m’avait pas envoyé de message. Elle me répondait que non mais qu’un tel t’as écrit quelque chose dans une publication. Je savais que je n’étais pas la seule à ressentir la même chose. Maryam aussi avait le cœur brisé. Son amie venait de se marier. Maryam demandait incrédule : « Elle ne m’a pas invitée ? Pourquoi ne m’a-t-elle pas au moins envoyé un message ? Ce n’est pas parce que je ne peux pas m’y rendre qu’elle n’aurait pas dû m’inviter ? »

Et toi ? Penses-tu encore à ce genre de choses après cinq ans en prison ? Ces préoccupations sont peut-être normales au début. Au début, quand ton corps est en prison mais ton esprit se concentre encore sur l’extérieur. Cela erre de maison en maison, d’une rue à l’autre, et d’une personne à une autre. Au début, on erre, on se sent déplacée. Cela prend du temps à l’esprit et au corps de se rejoindre pour finir par trouver la paix. Le sort a voulu que je n’aille pas au-delà du début. Mais peut-être que si j’étais restée plus longtemps, cette part inconnue de mon être, qui était toujours en attente, aurait-elle commencé à se mettre en marche et j’aurais alors oublié toutes ces préoccupations. Le processus de l’acclimatation, comme une douce mère qui ne veut pas que son enfant ait des difficultés dans sa vie, aurait fini par se saisir de moi, me berçant pour m’endormir, jusqu’à un état d’oubli.

Je ne sais pas si tu t’es réconciliée avec ces choses, ou s’il y a même des problèmes qui te préoccupent ? Je voudrais pouvoir te parler de tout cela. Pas par lettre, mais plutôt te parler face à face, comme nous parlions en prison. On s’asseyait en bas et commencions à discuter, si absorbées que celles qui nous regardaient pensaient que nous avions une conversation privée intense. Elles nous demandaient la permission avant de s’approcher. « Puis-je descendre ? Je ne vous dérange pas ? » Demandaient-elles.

Quelquefois, je pense à ta libération, combien tu te sentiras perdue et déçue dehors. Tu marcheras dans la rue et personne ne connaîtra ton secret. Comme si rien ne s’était passé. Comme si tu n’avais pas été absente. Comme si ta vie ne t’avait pas manqué pendant toutes ces années. Immédiatement après ta libération, tu deviendras comme tous ces gens sans visage qui attendent que le feu passe au vert. On te bousculera quand tu essaieras de prendre le métro pour se faire de la place. Toutes ces choses que tu n’as pas ressenties pendant des années, que tu as peut-être même oubliées, se précipiteront sur toi. Elles ne t’attendront pas. Pas une seule minute ! Et pour les évènements quotidiens, tu ne seras pas différente des autres. 

Durant cette méditation, on me suggère qu’il vaudrait peut-être mieux d’espérer d’abord ta libération, après quoi, on pourra s’inquiéter de ce qui t’arrivera. « Il faut que Bahareh soit libérée, après, peu importe si elle finit par être comme nous autres ? » Disent-ils. Je me demande combien de temps il te faudra pour devenir l’une des nôtres ?

Je veux publier cette lettre sur mon blog. Ainsi, j’aurai parlé avec toi ici aussi. Ecrire à ton propos sur mon blog me permettra de parler de toi aux rares personnes qui comptent pour moi, qui pourront le lire. Je veux leur dire que tu n’es pas qu’une prisonnière courageuse dont ils ont vu la photo ou dont ils ont lu l’histoire dans différents reportages ou déclarations. Je veux leur dire que tu es une vraie personne. En fait la meilleure.

Source : http://3rouzpish.blogspot.co.uk/2014_12_01_archive.html

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