jeudi 25 décembre 2014

Lettre de Bahareh Hedayat depuis la prison d'Evine

Bahareh Hedayat, féministe et dirigeante étudiante condamnée à un total de neuf ans et demi de prison pour avoir évoqué les injustices en Iran, a écrit une nouvelle lettre de la prison d’Evine. Voici des extraits de cette lettre.

Les droits humains sont-ils politiques ? Les droits humains, à la base, consistent à revendiquer ces droits auprès d’une autorité supérieure ou à remédier temporairement à un dysfonctionnement de ce pouvoir, qu’il s’agisse d’une dictature, d’un groupe démocratique ou rebelle. La défense des droits humains, qu’il s’agisse de revendiquer des droits ou de les conserver et de les protéger, demande d’affronter le pouvoir. Cette confrontation s’étend de la coopération avec le pouvoir en place pour induire des principes et obtenir des solutions, jusqu’à une confrontation physique.

Dans le cas d’un pays comme l’Iran, les droits humains sont absolument politiques, ce qui n’est pas forcément négatif. Je voudrai comprendre pourquoi les militants des droits humains ferment les yeux sur les violations des droits humains en politique.

La défense des droits humains est politique, d’abord parce qu’elle est liée au gouvernement, au pouvoir actuel. Deuxièmement, par la confrontation elle-même, la défense des droits humains acquière une sorte de pouvoir. Cependant, les militants des droits humains n’ont pas le droit de choisir une position politique, leur domaine de compétence se limite aux violations des droits humains.

Les droits humains et la politique ne sont pas complètement séparés, ils sont liés. L’existence de prisonniers politiques est la base des violations des droits humains. Un militant des droits humains ne peut pas se désintéresser des violations des droits humains en politique, ni prendre une position ambiguë d’apolitisme.

Il faut dire que garder le silence sur les prisonniers politiques constitue une prise de position politique. Le silence n’a d’autre résultat que de rendre les prisonniers politiques invisibles aux organisations internationales. On ne peut échapper à ses responsabilités en se déclarant apolitique.

Le Mouvement Vert peut avoir attiré à Téhéran au moins quelques millions de personnes, certains sont morts pour ce mouvement, des centaines ont été emprisonnés et ses dirigeants sont assignés à domicile sans jugement pour presque quatre ans maintenant. Et pourtant, combien de fois les militants des droits humains citent-ils le « Mouvement Vert » ou les noms de Moussavi, Karroubi et Rahnavard ?

Moussavi, Karroubi et Rahnavard sont assignés à domicile, ils n’ont pas d’accès au téléphone, les visites qu’ils reçoivent sont limitées et tous les trois sont malades depuis quelque temps maintenant. Ils sont maintenus sous un contrôle sécuritaire strict sans avoir été condamnés ; leur situation ne remplit-elle pas les critères d’une violation des droits humains ? La liberté d’expression, la liberté d’association, le droit à un procès juste, etc, ne sont-ils pas des droits humains ? Finalement, ces trois personnes sont assignées à domicile parce qu’ils ont défendu les droits de la population.

Voilà quatre ans que Mostafa Tadjzadeh est détenu à l’isolement. Il n’a droit qu’à une visite de son épouse toutes les semaines. Il n’a le droit de voir sa fille qu’une ou deux fois par an. Voilà des mois qu’Abolfazl Ghadvani est hospitalisé dans des conditions de stricte sécurité.
Mir-Hossein Moussavi, Mehdi Karroubi, Mostafa Tadjzadeh, Mohsen Mirdamadi, Keyvan Samimi, Alireza Redjaï, Massoud Pedram et Saïd Madani sont des prisonniers politiques de premier plan dont les droits fondamentaux ont été piétinés et pourtant ils sont ignorés des organisation internationales de défense des droits humains. Les avocats de premier plan Abolfattah Soltani et Mohammad Seifzadeh ne sont-ils pas considérés parce que ce ne sont pas des femmes ? Savez-vous qu’ils sont emprisonnés pour avoir défendu les droits humains ? Avez-vous entendu parler d’Hakimeh Shokri, d’Hassan Assadi-Zeidabadi, d’Emad Bahavar, de Zia Navavi et de Madjid Tavakoli ?

Nous rêvons du jour où les droits humains ne seront plus politisés, mais où leurs militants surveilleront la conduite de leurs gouvernements. Mais il semble qu’aujourd’hui, on doive surveiller les militants des droits humains pour s’assurer qu’ils fassent correctement leur travail. Je ne suis pas sûre que nos priorités soient les bonnes. Je perds espoir quand je pense qu’il est possible que certains militants des droits humains se conduisent comme des juges et se montrent incapables de neutralité.

Source : http://www.kaleme.com/1393/09/14/klm-204214/

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